L’embauche d’un salarié au cours de la période d’observation, un acte de gestion courante ?

Cass. Soc. 06 décembre 2023, n° 22-15.580

Droit du travail | Procédures collectives | Redressement judiciaire 

Par Jugement du 11 mai 2015, un Tribunal de Grande Instance a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard d’une association. Le 1er septembre 2015, soit, au cours de la période d’observation, un avenant au contrat de travail a été signé entre l'association et un salarié mentionnant l'exercice de la fonction de Directeur Général et lui confiant une mission complémentaire de développer le chiffre d'affaires de l'association.

Suite à la liquidation judiciaire de l’association prononcée par jugement du 16 janvier 2017, ledit salarié a fait l’objet d’un licenciement pour motif économique par le liquidateur.

C’est dans ce contexte que l’intéressé a saisi le Conseil de Prud’hommes aux fins de voir fixer au passif de l’association une créance de rappel de salaire au titre de la prime sur le chiffre d’affaires et diverses indemnités liées à la rupture de son contrat de travail.

Aux termes de l’arrêt commenté, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’Appel de RIOM du 18 janvier 2022 qui avait déclaré nul l’avenant à un contrat de travail conclu pendant la période d’observation, sans l’autorisation du mandataire judiciaire en se basant sur les dispositions de l’article L. 632-1 du Code de commerce.

La Haute Juridiction  soulève qu’il "résulte de la combinaison de ces textes que la nullité encourue en application de l'article L. 632-1, I, 2°, du Code de commerce ne peut atteindre que les actes accomplis au cours de la période suspecte entre la date de cessation des paiements telle que fixée par le tribunal et la date de ce jugement d'ouverture, et non ceux que le débiteur soumis à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires aurait passés postérieurement au jugement d'ouverture de celles-ci".

Ce premier argument ne soulève pas de difficulté dans la mesure où les actes accomplis pendant la période d'observation n’encourent pas la nullité mais leur inopposabilité à la procédure collective.

Cependant, la Cour de cassation développe son argumentaire en ajoutant que "Vu l'article L. 631-21 du Code de commerce : Lorsqu'aucun administrateur n'a été désigné par le jugement de redressement judiciaire, le débiteur poursuit seul l'activité de l'entreprise et exerce les fonctions dévolues à celui-ci, ce dont il se déduit qu'il a le pouvoir d'embaucher un salarié ou de conclure avec ce dernier un avenant au contrat de travail, sans l'autorisation ni du Juge-Commissaire, ni de quiconque, de tels actes ne constituant pas un acte de disposition étranger à la gestion courante de l'entreprise".

Il en résulte que selon la Cour de cassation, la conclusion d’un contrat de travail constitue un acte de gestion courante, de sorte qu’en l’absence d’Administrateur Judicaire, le débiteur peut valablement conclure seul un contrat de travail.

En pratique, cela implique dès lors l’impossibilité de soulever l’inopposabilité de l’acte à la procédure collective.

Durant la période d’observation, les dispositions de l'article L. 631-21 du Code de commerce prévoient que "l'activité est poursuivie par le débiteur qui exerce les prérogatives dévolues à l'administrateur" qui "continue à exercer sur son patrimoine les actes de disposition et d’administration" (article L. 622-3 du Code de commerce).

Cet arrêt vient opérer un revirement d’une Jurisprudence établie, au terme de laquelle la conclusion d’un contrat de travail au cours de la période d’observation constitue un acte étranger à la gestion courante de l’entreprise (Cass. Soc. 30 mai 2001, n° 99-42.769).

La Cour relève d’office dans l’arrêt commenté que : "Lorsqu'aucun administrateur n'a été désigné par le jugement de redressement judiciaire, le débiteur poursuit seul l'activité de l'entreprise et exerce les fonctions dévolues à celui-ci, ce dont il se déduit qu'il a le pouvoir d'embaucher un salarié ou de conclure avec ce dernier un avenant au contrat de travail, sans l'autorisation ni du Juge-Commissaire, ni de quiconque, de tels actes ne constituant pas un acte de disposition étranger à la gestion courante de l'entreprise".

La publication au bulletin de cet arrêt semble avoir pour objet d’indiquer que la Cour de cassation entend maintenir cette position dans les décisions à venir.

Si l’on peut opérer une distinction entre la « gestion courante de l’entreprise » et une gestion « en bon père de famille », qui elle pourrait autoriser une embauche sous la juste réserve des capacités financières de l’entreprise, il convient toutefois d’ajouter qu’il reste, en tout état de cause, la possibilité de critiquer ladite gestion.

En effet, il est encore envisageable de soulever le caractère frauduleux du contrat conclu, et par voie de conséquence, d’engager la responsabilité civile du dirigeant sous le prisme de la légèreté blâmable.

Par Maître Cédric MIGNARD et Jean-Stéphane ROUSSEL